Opinion santé : entretien avec Annie DELMONT-KOROPOULIS Sénatrice de la Seine-Saint-Denis

28 mars 2022

 

Nextep : Madame la Sénatrice*, pouvez-vous nous présenter l’objectif et les grandes lignes de votre PPL sur l’innovation en santé ? Qu’est-ce qui a poussé le Sénat à l’examiner maintenant ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : C’est une proposition de Loi (PPL) que nous avons envisagée dès 2019 avec la Présidente de la Commission des Affaires sociales, Catherine Deroche, pour améliorer le système des recherches dans le domaine de la santé, y compris celles que l’on appelle éthiques c’est-à-dire non interventionnelles. Il nous semblait notamment important d’aborder la question des CPP (comités de protection des personnes) afin de renforcer leur statut et leur expertise.

Pour ma part, je suis médecin et ce sont des sujets qui m’intéressent tout particulièrement. C’est ce qui avait déjà conduit à ce que je sois Présidente du groupe Cancer et Rapporteure de la Commission des Affaires sociales sur les travaux liés au CSIS (Conseil Stratégique des Industries de santé). Si certaines choses ont bougé dans ce cadre, il reste des enjeux à traiter ou à accélérer ; d’où notre volonté de reprendre ce texte.

 

Nextep : Justement, comment cette proposition s’articule-t-elle avec les actions engagées dans le cadre notamment du plan Innovation Santé 2030, présenté lors du dernier CSIS ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : Les orientations du texte que nous proposons vont dans le même sens, qui apparaît comme une évidence. Le Gouvernement s’est d’ailleurs montré favorable dans l’ensemble, même si certains sujets pourraient un peu coincer à l’avenir, comme la VTR (valeur thérapeutique relative) ou la possibilité de réaliser davantage de production hospitalière de thérapies géniques.

« Ouvrir le débat sur la question du financement de ces traitements particulièrement coûteux »

Au moins, l’amendement de la sénatrice Laurence Cohen qui a introduit cet article, aura permis d’ouvrir le débat sur la question du financement de ces traitements particulièrement coûteux. Il s’agit aussi de voir dans quelle mesure interviennent les fonds publics – via les subventions de start-ups par Bpifrance par exemple – dans le développement de ces médicaments. Sans compter qu’il est extrêmement compliqué de comparer les prix entre les différents pays mais j’ose espérer que le CEPS a des moyens de les connaitre.

Cela dit, il y a un équilibre à trouver car si le système devient désincitatif, il ne faudra pas s’étonner que les laboratoires ne s’engagent plus dans ces recherches car il faut beaucoup investir pour être en mesure de proposer des solutions. De manière générale, notre objectif doit être que tout le monde puisse avoir accès aux traitements le plus rapidement possible. Sans oublier qu’il faut aussi garantir la sécurité et la qualité de la production.

 

Nextep : Par rapport à ces questions, faudrait-il aller vers davantage de médico-économie en France ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : Certainement ! Depuis l’arrivée des anti-VHC, l’importance de l’approche médico-économique s’est nettement renforcée. C’est d’ailleurs dans ce cadre que s’inscrit notre proposition de confier à la Haute Autorité de Santé (HAS) une mission d’anticipation des innovations thérapeutique (« Horizon scanning »)… en attendant que l’Agence de l’Innovation en Santé se mette en place ; agenda sur lequel nous n’avons pas de visibilité. Et il faudra naturellement que cela s’accompagne de moyens.

 

Nextep : L’usage testimonial était une demande de longue date du Sénat, notamment de René-Paul Savary. Est-ce que cela ne pourrait pas rentrer dans l’accès compassionnel ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : J’espère vraiment que la disposition ira jusqu’au bout car cela constituerait une avancée importante pour de nombreuses personnes, par exemple atteintes de maladies neurodégénératives, qui n’ont plus de solution thérapeutique et qui pourraient essayer – en en prenant toute la responsabilité – un traitement de la dernière chance. Ce sont des situations qui ne rentrent pas dans le cadre de l’accès compassionnel, limité à des produits qui n’ont pas vocation à avoir d’AMM, alors qu’on serait dans le cadre de recherches déjà entamées, par exemple de phase I.

 

« Globalement, nous avons essayé de travailler sur tout ce qui ralentit la progression des médicaments »

 

Nextep : De la recherche clinique aux données de santé, le texte aborde beaucoup de sujets différents. Quel en est le fil conducteur ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : Globalement, nous avons essayé de travailler sur tout ce qui ralentit la progression des médicaments. Cela commence par la problématique autour des CPP, notamment en termes d’engorgement. S’agissant des RIPH (recherches impliquant la personne humaine) non-interventionnelles, à la différence de la proposition portée par le député Cyrille Isaac-Sibille lors du dernier PLFSS, nous avons préféré laisser la main aux CPP car il y a parfois des dossiers qui sont à la frontière. Le texte aborde également les recherches au domicile, qui pourront être menées via la télémédecine, et faciliteront l’entrée de patients dans des essais et permettront de lutter contre certaines inégalités géographiques. Concernant les enfants, pour lesquels c’était moins envisageable, nous avons opté pour une prise en charge des transferts. Nous demandons également la spécialisation de certains CPP en pédiatrie et dans les maladies rares. Enfin, si la formation des personnes qui siègent dans les CPP apparaît essentielle, il est surtout indispensable que ce soient des experts dès le départ. En lien, il est prévu d’intégrer un déontologue dans chaque Comité pour examiner et gérer les éventuels conflits d’intérêts.

La PPL pose également une vraie définition juridique de la médecine personnalisée et l’inscrit comme un objectif de santé publique.

Tout le monde s’accorde à dire que les données de santé doivent être hébergées de manière souveraine. Notre texte prévoit très concrètement d’instaurer une obligation légale de baser le SNDS (Système Nationale des Données de santé ou Health Data Hub) chez un hébergeur européen. La Directrice du HDH nous a indiqué en audition que celui-ci pourrait être pleinement opérationnel d’ici 3 ans. Mais, là encore, nous ne devons plus traîner. La France a tous les atouts pour être un champion dans le domaine du numérique en santé et il ne faudrait pas que les avancées soient entravées par des discussions et des arguments qui ne sont pas toujours fondés.

 

Nextep : Sur la prise en charge des tests génomiques, pourquoi ne pas avoir attendu la réforme du RIHN ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : Sortir les biomarqueurs et les tests génétiques de l’enveloppe fermée du RIHN (référentiel des actes innovants hors nomenclature) est très attendue. Car cela constitue une vraie barrière à l’accès au séquençage et à l’innovation. Le Gouvernement a bien évoqué une réforme à venir mais il est important d’aller vite désormais dans ce domaine du diagnostic, notamment dans le domaine du cancer.

 

« Un signal qu’enverra la prochaine équipe gouvernementale aux industriels et surtout aux patients sur ce sujet majeur qu’est l’innovation en santé »

 

Nextep : Quel est votre sentiment par rapport au passage à l’Assemblée ? Avez-vous un message à adresser aux (futurs) députés et Gouvernement ?

Annie DELMONT-KOROPOULIS : Tout dépendra naturellement de la prochaine équipe. Mais il serait totalement incongru que l’Assemblée nationale n’examine pas du tout cette proposition de Loi. Je suis même confiante sur le fait que la plus grosse partie du texte subsistera. D’ailleurs, le Gouvernement n’a pas exprimé d’opposition sur le texte en général et s’est même montré assez positif. Ce sera en tout cas un signal qu’enverra la prochaine équipe gouvernementale aux industriels et surtout aux patients sur ce sujet majeur qu’est l’innovation en santé.

 

Propos recueillis par Maxime Warembourg et Guillaume Sublet pour Nextep

*Annie DELMONT-KOROPOULIS est aussi Membre de la Commission des Affaires sociales du Sénat, Présidente du groupe d’études Cancer, Rapporteure de la PPL Innovation en santé.

08 avril 2022

 

 

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Guillaume Sublet

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