Opinion santé : Pr. Didier Samuel et Franck Mouthon

 Il s’agit de pouvoir présenter à l’Etat une série de propositions de programmes ambitieux et de thèmes de recherche transformants La création de l’Agence de programmes pour la recherche en santé constitue un acte fort de la part de l’Etat 

 

 

 

 

Entretien avec le Pr. Didier Samuel, Président-Directeur Général de l’Inserm[1] et Franck Mouthon, Directeur exécutif de l’Agence de programmes pour la recherche en santé

Nextep : Pouvez-vous revenir sur les raisons de la création de l’Agence de programmes pour la recherche en santé, voulue par la Président de la République, et de son rattachement à l’Inserm ?

Pr. Didier Samuel : Cette décision émane effectivement d’une volonté exprimée par le Président de la République, faisant suite au rapport Gillet qui considère que les organismes de recherche ont vocation à être investis d’une stratégie de recherche dans leur domaine, avec pour mission de l’organiser et de la déployer avec leurs partenaires via des agences. Pour la santé, le Président a confié à l’Inserm la responsabilité de cette agence ; ce qui est logique puisque notre Institut est dédié à la recherche biomédicale et en santé et que c’est notre raison d’être.

« L’objectif est de faire participer l’ensemble des partenaires dans un bloc recherche en santé »

Confier à l’Inserm cette Agence de programmes pour la recherche en santé a le mérite de clarifier le paysage. En nous donnant la coordination, la direction et l’organisation, le corolaire est que nous allons montrer notre capacité d’être coordinateurs, pluripartenaires et inclusifs, en associant tous les acteurs de la recherche en santé : le monde hospitalier (CHU, CLCC), les autres organismes de recherche qui ont des volets sciences du vivant (comme le CNRS, le CEA, l’Inria, l’INRAe[2]), les universités, les agences (notamment l’INCa et l’Anses[3]), etc. L’objectif est ainsi de faire participer l’ensemble des partenaires dans un bloc « recherche en santé ». Cela dit, l’Inserm est déjà pilote de 8 PEPR (Programmes et Equipements Prioritaires de Recherche) et l’Agence aura vocation à déployer de futurs programmes de ce type.

Franck Mouthon Il s’agit effectivement d’engager des thématiques de recherche prioritaires, sans oublier la veille scientifique et capacitaire en recherche qui est également confiée à l’Agence. Le Pr. Samuel tient également à ce qu’il y ait une forte coordination avec nos homologues à l’échelle européenne et mondiale ; ce qui sera traité dans le volet international qui fera aussi partie de nos missions.

En réalité, la stratégie d’accélération et les programmes exploratoires étaient déjà préfigurateurs de cette capacité à structurer des programmes et des thématiques de recherche capables d’embarquer des collectifs forts, de la recherche fondamentale au soin. L’Inserm avait ainsi déjà beaucoup œuvré en amont de la création de l’Agence.

Nextep : Quelles vont être les lignes directrices et les premiers grands sujets de cette Agence ?

Franck Mouthon : Un certain nombre de sujets étaient déjà engagés en amont de la création de l’Agence ; deux en particulier : France Vaccins, où la France ambitionne d’avoir un réseau de recherche et de partenariats public-privé très forts, en s’appuyant sur la politique de sites au niveau du biocluster lyonnais et un programme de recherche intense qui va associer un certain nombre d’acteurs. L’autre sujet est la prévention, qui là aussi va faire l’objet d’une réflexion de recherche, que ce soit sur l’exposome ou sur les sciences humaines et sociales pour embarquer les grands enjeux de la prévention sur notre territoire.

«  Il s’agit de pouvoir présenter à l’Etat une série de propositions de programmes ambitieux et de thèmes de recherche transformants »

Nous avons déjà aujourd’hui un périmètre couvert en termes de priorités avec les 8 PEPR en cours, qui donne l’envergure de ce que la France porte en termes de programmes thématisés structurants, intégrant l’interdisciplinarité et le multi-partenariat. D’ici juin, il est prévu de faire remonter deux à trois programmes auprès du Comité des partenaires, qui embarque l’ensemble des acteurs contribuant à la recherche en santé en France ; afin de pouvoir ensuite présenter à l’Etat une série de propositions de programmes ambitieux et de thèmes de recherche transformants.

Pr. Didier Samuel : Le périmètre est très large puisqu’il va de la recherche fondamentale à l’appliquée ; en sachant qu’il peut y avoir une déclinaison au sein d’un même programme. Le principe de l’Agence est d’être pluri-partenaires et donc de les engager pour décider de la priorisation. Comme on le voit déjà dans les PEPR, il s’agit d’être plus « top down » que « bottom up ». Ainsi, l’idée sera moins d’être en réponse à des appels à projets mais d’être majoritairement sur des projets ciblés, avec une mise en place de consortiums de chercheurs autour d’une thématique. C’est une méthode de travail que l’on a déjà mise en place dans les premiers PEPR et qui constitue une nouvelle façon de piloter et de voir la recherche ; ce qui va être un booster dans l’organisation de la recherche en France.

Nextep : Comment va s’inscrire l’Agence dans l’écosystème ? En particulier, quelle va être l’articulation avec l’AIS ? Y’aura-t-il des collaborations possibles avec les industriels ? Est-ce que les patients seront intégrés ?

Pr. Didier Samuel : Tout d’abord, il faut rappeler l’importance de créer un dialogue et de la coordination interagences car il y aura forcément des intersections sur certaines thématiques. Cela fera partie du travail que nous allons mettre en place.

Franck Mouthon : Les liens avec l’Agence de l’Innovation en Santé sont absolument naturels et apparaissent en particulier à deux niveaux. Tout d’abord dans le cadre du Comité de liaison avec l’Etat qui concerne toutes les agences évoquées précédemment, auquel l’AIS – représentante Santé du SGPI (Secrétariat général pour l’investissement) – sera présente. Par ailleurs, nous avons des liens bilatéraux étroits sur l’avancement des travaux de notre Agence, notamment sur la prévention que je mentionnais comme faisant partie des sujets préfigurés. Les travaux vont d’ailleurs s’intensifier très prochainement pour accélérer l’articulation entre recherche pure et déploiement de cette stratégie.

S’agissant de la dimension socioéconomique, nous avions dès le début la volonté d’impliquer la FEFIS – Fédération Française des Industries de Santé, qui englobe de façon large les industriels. Et il existe déjà beaucoup de collaborations établies grâce à l’Inserm Transfert, que ce soit avec des start-ups ou des grands groupes. C’est aussi l’ambition de la nouvelle Agence d’évaluer l’opportunité de nouer des partenariats dans certains cas, au niveau français voire européen.

« L’Agence a vocation à interagir avec des associations de patients via le Comité des parties prenantes et contribuer ainsi à l’amplification de la prise en compte de leur voix »

Pr. Didier Samuel : S’agissant des patients, nous avons inclus au sein du Comité des Partenaires une association qui en représente plusieurs. Il est pour nous essentiel de les impliquer dans les processus de décision. C’est un travail engagé par l’Inserm à travers un programme de recherche participative, que l’on souhaite développer. L’Agence a vocation à interagir avec des associations de patients via le Comité des parties prenantes et contribuer ainsi à l’amplification de la prise en compte de leur voix.

Nextep : Quel regard portez-vous sur la place de la France dans la recherche en santé au niveau mondial ? Est-il toujours possible d’atteindre les objectifs du Plan Innovation Santé 2030 ?

Pr. Didier Samuel : Clairement, la France conserve une position forte en recherche académique en santé, avec d’une part des chercheurs français au plus haut niveau dans beaucoup de disciplines et l’Inserm a une visibilité internationale forte et de nombreux partenariats. Mais il est important de renforcer cette position et pour cela il est indispensable d’augmenter l’investissement en recherche biomédicale. Il faut aussi la volonté d’avoir un volet international et une coopération avec les autres agences européennes. C’est en étant forts au niveau national que l’on peut être forts au niveau européen et international et cette dimension sera un élément important pour l’Agence et l’Inserm.

Cela dit, la France n’a pas la taille des Etats-Unis ou Chine. Nous devons donc être au niveau dans un certain nombre de thématiques pour être reconnus et être engagés comme participants voire leaders dans des grands programmes européens qui, eux, seront compétitifs. Cela fait partie des objectifs de l’Agence d’aider à ce que la France soit reconnue dans le concert international.

Franck Mouthon : Nous sommes partis du constat en 2021 d’une désindustrialisation de la France et d’un désengagement de la R&D pas les grands industriels. Il faut rappeler que les montants sans précédents et le process inédit, avec pour la première fois véritablement une approche interministérielle et des actions qui commencent à se décliner, par exemple sur des politiques de site avec les bioclusters et les IHU, ces programmes structurants que sont les PEPR qui sont inscrits soit dans une stratégie d’accélération avec une vraie vision sur la bioproduction, sur le numérique en santé sur les maladies infectieuses émergentes soit non-thématisée avec des programmes qu répondaient à des enjeux de santé publique et scientifiques à cracker. Le pari qui est fait est d’améliorer la capacité d‘innovation sur le territoire pour essayer de renouer avec cette tradition d’investissements en production et R&D.L’arrivé de tous Changements sur la prise ne charge des malades, que ce soit sur la prévention, le diagnostic ou le traitement, correspondent à une dimension explosive pour les systèmes de santé. Quand on voit les ambitions des 8 PEPR, la volonté est aussi de résoudre cette équation complexe entre l’intégration de ces nouveaux traitements qui peuvent être extrêmement coûteux et, en innovant, d’essayer de réduire les coûts, les risques et les temps de développement. Et c’est vraiment l’idée de rendre compatible une prise en charge la plus innovante possible pour les patients tout en permettant au système de santé d’être soutenable.

 

Nextep : Y a-t-il des points d’amélioration à travailler ?

Pr. Didier Samuel : Il y avait tout d’abord besoin d’un réinvestissement fort en recherche biomédicale et j’espère que l’on pourra garder ce trend très positif. En revanche, nous avions un point de faiblesse avec une recherche académique de haut niveau mais une difficulté à valoriser et réaliser le transfert. Ainsi que l’a dit Franck Mouthon, il y a un changement de paradigme. Les chercheurs essayent davantage de valoriser leurs propres recherches, avec l’aide d’outils comme l’Inserm Transfert et d’autres comme les IHU ou les bioclusters. Il s’agit en tout cas d’un enjeu pour les années à venir.

Au final, la création de l’Agence de programmes pour la recherche en santé constitue un acte fort de la part de l’Etat qui confie à l’Inserm une structure emblématique qui va impliquer de nombreux acteurs. Derrière, l’enjeu n’est rien moins que de déterminer la médecine de demain qu’il sera possible de délivrer aux patients ainsi que la capacité de la France à participer en étant compétitive au plus haut niveau. C’est un challenge que l’on prend à bras le corps avec une détermination sans faille à porter haut la recherche en santé en France.

 

 Propos recueillis par Guillaume Sublet le 11 avril 2024

 

[1] Institut national de la santé et de la recherche médicale

[2] Centre national de la recherche scientifique, Commissariat à l’Energie Atomique, Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement

[3] Institut national du cancer, Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail

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