« Nous attendons que les politiques se positionnent clairement sur ce qu’est le métier infirmer, et vers quoi il doit évoluer »
Nextep : Quels défis identifiez-vous pour le système de santé et quel rôle sont amenés à jouer les infirmières et infirmiers ?
John Pinte :Il s’agit d’un grand sujet car le système est en difficulté depuis plusieurs années, non seulement sur les questions d’accès ainsi qu’en termes de réponses aux besoins et attentes de la population ; ce que nous alertons depuis longtemps au niveau de notre syndicat. Les instances n’ont pas voulu bouger les curseurs et sont restées sur une politique de tuyaux, qui conduit à limiter la coordination et des compétences non exploitées. En opérant ainsi, on retarde les prises en charge des patients. Par exemple, pour le patient avec une plaie, il n’est pas nécessaire en théorie d’avoir une prescription médicale mais elle reste indispensable pour ouvrir la prise en charge alors que l’accès a médecin est de plus en plus compliqué ce qui aboutit à un allongement des délais et finalement des difficultés de prise en charge. En parallèle, de nombreuses prescriptions sont mal rédigées alors que l’Assurance-maladie a pris le parti de multiplier les contrôles ; et génère ainsi une multiplication des cas d’indus.
« Il y a des choses à construire, en nous mettant autour de la table plutôt que d’avoir uniquement des négociations profession par profession »
Dernièrement, nous avons cependant connu un élargissement de nos compétences sur la vaccination, les rendez-vous de prévention, les certificats de décès… mais sans jamais vraiment travailler en interpro; ce qui créé des tensions. Par exemple, la vaccination est partagée avec les médecins, les pharmaciens et les sage-femmes sans avoir pu en discuter, notamment la mise en place et le rôle de chacun. Il y a des choses à construire, en nous mettant autour de la table plutôt que d’avoir des négociations profession par profession. Du coup, dès que l’on parle de consultation infirmière, il y a des levées de bouclier.
Nous avions eu ces derniers mois d’avoir un ministre qui avait tendance à vouloir avancer, notamment en rénovant la Loi infirmière qui date de 1978, même si le décret d’actes est plus récent. Nous allions vers une nouvelle Loi qui remettait en avant le rôle propre de l’infirmier, qui ouvrait la porte à la consultation infirmière ouvrant la voie à l’accs direct pour les patients dépendants notamment. Était également mise en avant l’éducation à la santé, la prévention, la coordination. Et derrière étaient prévus un décret et des arrêtés qui auraient simplifié le métier.
Ce n’est pas pour autant que tout est remis à zéro mais on entre dans une nouvelle période d’incertitudes. Sans compter la négociation tarifaire alors que notre lettre clé n’a pas été revalorisée depuis longtemps ou encore la reconnaissance de la pénibilité de notre travail en attente du rapport de la mission IGAS. Enfin, on attendait un décret sur l’infirmier référent (NDLR : publié depuis), qui avait été introduit par… Frédéric Valletoux mais qui reste encore insuffisant puisque nous attendions que cela ouvre aux renouvellements de prescriptions de soins infirmiers.
« L’objectif est vraiment de pouvoir mieux coordonner le parcours
avec un infirmier bien identifié »
Nextep : Jusqu’à un infirmier coordonnateur de parcours, comme au Danemark ?
John Pinte : L’objectif est vraiment de pouvoir mieux coordonner le parcours avec un infirmier bien identifié. Cela permettrait de recevoir le compte-rendu d’hospitalisation, de mieux anticiper les sorties d’hôpital et de faciliter la coordination, et donc in fine de participer à l’amélioration du parcours. Aujourd’hui il y a une captation par d’autres acteurs comme les HAD (Hospitalisation à Domicile) alors que l’infirmier connait bien le patient et devrait être intégré.
Il est par ailleurs important, notamment pour les patients chroniques, de pouvoir opérer un renouvellement d’une prescription qui se termine, avec naturellement une information au médecin. Jusque-là, on est souvent obligé de se mettre hors cadre pour pouvoir assurer le suivi faute d’avoir une prescription de soins dans les délais..
Nextep : En particulier, quelle pourrait être la participation des infirmières et infirmiers s’agissant du bon usage des médicaments ?
John Pinte : A domicile, il existe des stocks énormes de médicaments chez nos patients, mais aussi de dispositifs médicaux, parfois non adaptés. Cela constitue un gaspillage important et même ridicule qui génère aussi des confusions chez les patients voire un danger en cas de péremption ou de changement de traitement (insuline par exemple) ; sans oublier les risques environnementaux quand ces produits finissent dans les toilettes ou à la poubelle.
La difficulté actuellement est que l’on ne peut pas intervenir avant la délivrance alors que l’on pourrait travailler en interaction entre le pharmacien et l’infirmier pour évaluer s’il est nécessaire d’avoir une nouvelle dispensation. Aujourd’hui, on est un peu sur du bidouillage.
Par ailleurs, il existe des dispositions mises en place mais souvent ignorées, notamment du médecin. Il peut en effet prescrire un passage infirmier à domicile pour évaluer le bon suivi du traitement et le stock de produits de santé, à raison de 3 séances en 1 mois. Il s’agit d’un acte créé il y a 5 ans, pour des patients que l’on suit au quotidien mais pour d’autres dits « autonomes ». Or, ils auraient intérêt à bénéficier d’un suivi si l’on identifie qu’il y a un risque de confusion ou de mauvaise observance.
« Nous travaillons avec l’Assurance-maladie sur la réduction des gaspillages de médicaments. Il y a aussi à faire pour réduire ou adapter les emballages mais avec tous les acteurs »
Nous travaillons avec l’Assurance-maladie sur la réduction des gaspillages de médicaments. Il y a aussi un travail à faire pour réduire ou adapter les emballages mais qui devrait se faire avec tous les acteurs concernés ; les pharmaciens n’étant pas les seuls à être impliqués sur le médicament. De même, il y aurait un rôle à jouer pour nous s’agissant de patients avec une chimiothérapie orale et de patients psychiatriques. Tout cela reste à construire, ensemble.
Nextep : Quels sont les principaux enjeux pour la profession, immédiats et à plus long terme ?
John Pinte : Il faut faire confiance à la profession ; ce qui n’est pas évident car le système a beaucoup été centré autour du médecin. Pourtant, quand on a besoin de nous, on arrive à nous trouver des compétences supplémentaires. Pendant la crise sanitaire, on nous a fait confiance et nous avons montré notre apport ainsi qu’une certaine forme d’autonomie… avec un retour des contraintes en sortie de crise qui a engendré un sentiment d’incompréhension et de frustration.
A-t-on une mission bien déterminée ou s’agit-il d’une utilisation ponctuelle en fonction des besoins ? Nous attendons que les politiques se positionnent clairement sur ce qu’est le métier infirmer, vers quoi il doit évoluer et de ramener de la confiance dans les professionnels.
Nextep : Quels objectifs vous donnez-vous dans le cadre du syndicat en ce début de nouveau mandat ? Qu’aimeriez-vous avoir accompli à la fin de celui-ci dans 3 ans ?
John Pinte : Dans la lignée des dernières années, le premier serait de redonner du sens au métier, en allant plus loin dans les compétences et en les valorisant. Il faut donc négocier avec l’Assurance-maladie, y compris sur la revalorisation tarifaire. Celle-ci pouvait encore attendre avant l’inflation mais elle est désormais devenue critique. Pourtant, ce n’est pas encore fait pour nous, contrairement aux médecins et pharmaciens.
Nous devons aussi faire face à des problématiques liées aux retraites et aux formations. Mieux former les futurs professionnels et mieux encadrer les nouveaux arrivants est crucial.
Par rapport à tous ces enjeux, nous espérons avant tout un Gouvernement stable et ouvert pour pouvoir continuer à avancer. Mais, quoiqu’il arrive, nous poursuivrons notre travail auprès de nos adhérents ainsi que des autres professionnels de santé et des politiques.
Propos recueillis par Guillaume Sublet, le 18 juin 2024