« Les étudiants en médecine ont des attentes, notamment d’un nouveau rapport au travail mais aussi d’une nouvelle considération politique »
Nextep : Quelles sont les perspectives et attentes des étudiants en médecine ?
Lucas Poittevin : Les perspectives et attentes des étudiants en médecine sont nombreuses et diverses. Le premier enjeu, c’est de pouvoir avoir une formation efficace, qui permette d’acquérir l’ensemble des connaissances et favoriser le développement de l’étudiant dans ses apprentissages. Actuellement, notre cursus est bouleversé par plusieurs réformes, avec de nombreuses incertitudes d’autant qu’elles ne s’articulent pas vraiment entre elles. Il faut réussir à mettre de la cohérence.
La deuxième attente, c’est de pouvoir – au même titre que l’ensemble des professionnels de santé – avoir une qualité de vie qui permette de concilier apprentissage et développement personnel. Cela passe par des évolutions qui vont concerner la qualité de vie étudiante mais aussi la lutte contre toute forme de violences sexuelles et contre la précarité. L’objectif est de faire en sorte que l’étudiant se consacre pleinement à ses études.
Par rapport au futur de la profession, on sait qu’elle est profondément bouleversée actuellement, avec des paradigmes en cours de mutations, qui ne sont déjà plus mêmes qu’il y a 20 ans et des problématiques qui s’accumulent. Il y a donc des attentes, notamment d’un nouveau rapport au travail mais aussi d’une nouvelle considération politique. Il s’agit de revenir à l’accès aux soins, à travers notamment la question de la régulation de l’installation, qui sont des sujets importants et qui vont conditionner les exercices futurs.
Nextep : Au regard de ces points, entre autres, quels sont vos objectifs en tant que Président pendant votre année de mandat ?
Lucas Poittevin : Tout d’abord, il faut souligner qu’il est difficile d’avoir des avancées très importantes avec un mandat d’un an mais il s’agit de s’inscrire dans une continuité. Concrètement, l’idée est de pouvoir aboutir sur plusieurs dossiers, notamment la mise en place de la réforme de 4ème année d’internat, en faisant en sorte que tous les textes soient publiés conformément aux engagements des précédents ministres. S’agissant toujours des réformes, il faut réfléchir et acter des modifications du 2ème cycle qui permettront que les étudiants concernés par ces examens puissent les passer dans de meilleures conditions. Cela doit également permettre de se réorienter de manière optimale, évitant ainsi d’avoir perdu du temps, en utilisant les compétences acquises.
Ensuite, je souhaiterais vraiment avancer sur la précarité. Nous avons beaucoup de propositions en ce sens, notamment via la revalorisation mais aussi l’augmentation de l’indemnité d’hébergement et de transport pour les étudiants, l’ouverture des droits à la prime d’activité, etc. Nous avons besoin que le ministère acte qu’il s’agit de sujets prioritaires. Par ailleurs, nous aimerions pouvoir poursuivre les groupes de travail menés par le ministère de la santé en ce qui concerne les violences sexistes et sexuelles. D’ici la fin de l’année, nous allons sortir une enquête sur la santé mentale et construire une contribution avec des propositions concrètes pour pouvoir progresser sur ce plan.
Enfin, par rapport au système de santé, nous allons poursuivre nos combats, en particulier la lutte contre les mesures coercitives, notamment sur l’installation. Nous aimerions aussi pouvoir présenter de nouvelles propositions, par exemple une contribution interprofessionnelle sur la manière de percevoir l’exercice et la coopération ainsi que des réflexions sur les carrières hospitalo-universitaires et l’attractivité médicale.
« Il existe déjà des modèles pour travailler en collaboration, qui doivent permettre de faciliter les décisions et d’avoir une approche parcours patients »
Nextep : Comment envisagez-vous l’avenir de la profession, notamment sa place dans le système de santé ?
Lucas Poittevin : Il s’agit d’un sujet sur lequel on pourrait aider à travers différents axes, que ce soit sur la qualité de vie, le partage des compétences, la manière d’exercer en cabinet. Nous avons de nouvelles générations qui n’aiment pas forcément travailler seules d’autant qu’il est difficile d’avoir toutes les expertises. Il existe déjà des modèles pour travailler en collaboration, qui doivent permettre de faciliter les décisions et d’avoir une approche parcours patients, afin de ne pas les perdre en cours de route. Avant, c’est l’aspect curatif qui prédominait sur tout alors que nous sommes aujourd’hui beaucoup plus dans la continuité des soins avec une vraie logique de parcours qui nécessite une collaboration entre professionnels de santé, notamment dans le cadre de maladies chroniques.
Nous nous inscrivons ainsi entre un conservatisme et une délégation débridée. Le médecin doit rester pivot dans le système, notamment être garant qu’il n’y ait pas de mauvaises décisions. Cela doit se faire avec une vision sur le long terme. Par exemple, l’accès direct peut s’envisager dans certains cas très précis et par rapport à un contexte démographique médical de pénuries. Or, la dynamique en cours – issues de précédentes réformes des études – font que nous allons avoir de plus en plus de médecins alors que d’autres professions souffrent bien plus de baisses d’attractivité. Il faut donc anticiper pour ne pas se retrouver dans le futur avec une inversion du problème.
Nextep : Quel rôle devrait jouer le numérique et l’IA ? Comment cela est-il intégré aujourd’hui ?
Lucas Poittevin : L’intégration de ces technologies concerne tous les domaines, pas seulement médical, et qui nous impacte déjà depuis plusieurs années. Du point de vue de la formation, cela s’est matérialisé notamment avec le développement de la simulation pour s’entrainer à effectuer un soin, à prendre en charge un patient… ; ce qui est très bénéfique. Cela permet de développer de nouveaux champs de compétences, plus précocement et avec moins de risques, davantage en lien avec la vie réelle. Cette évolution prend du temps car nécessitant des investissements et des priorisations. Certains domaines sont plus pertinents mais à terme il est certain qu’on l’on va vers une généralisation.
Dans la profession, il faut absolument recourir davantage à l’IA, qui peut améliorer la qualité des soins, notamment en détectant de manière plus précises certaines pathologies. Il faut par contre bien comprendre que cela reste des outils et pas des remplaçants. S’il suffisait d’avoir des connaissances encyclopédiques et un modèle mathématique sans faille, il n’y aurait jamais d’erreurs médicales.
Nous sommes sur un domaine qui reste assez récent et progresse très rapidement donc qui est assez compliqué à intégrer dans une formation déjà très dense aujourd’hui. Mais nous avons déjà le programme fixe qui permet de sensibiliser sur la manière d’utiliser la technologie et l’apprentissage sur le tas, de pairs à pairs, à gérer ces outils en pratique, par exemple pendant l’internat (imagerie, chirurgie).
« Le plus urgent concerne le financement de la formation »
Nextep : Qu’attendez-vous du prochain Gouvernement ? Quelles mesures urgentes devraient selon vous être inscrites dans le PLFSS ?
Lucas Poittevin : Vous savez que d’habitude les orientations sont généralement données avant l’été et que la période actuelle est normalement celle des validations et arbitrages. Evidemment, le contexte actuel bouleverse complètement la donne.
Dans l’idéal, le plus urgent concerne le financement de la formation, à mettre en adéquation avec la progression du nombre d’étudiants. Pour former plus d’étudiants, il faut plus de formateurs, de maitres de stage, sans oublier les terrains de stage, certains étant obligés d’alterner une semaine sur deux, faute de lieux suffisants. Le Premier Ministre précédent souhaitait former 16 000 médecins d’ici 2027 mais il faut mettre le budget en adéquation sinon, en restant sur les mêmes niveaux que pour 8 000 étudiants, la qualité ne pourra être au rendez-vous.
Toujours d’un point de vue financier, puisque l’on parle du PLFSS, il faudrait avancer sur la précarité, notamment dans le cadre des stages, qui sont très mal payés alors qu’il n’est pas possible de travailler à côté comme d’autres étudiants mais qu’il y a toujours un loyer à payer, des livres à acheter, etc. Pour cela, il faut une augmentation de l’enveloppe MERRI. Mais l’axe de la rémunération n’est pas le seul. Il faut aussi aider sur les déplacements, revoir le système des bourses… L’idée est d’ouvrir ces réflexions pour faire avancer les choses. En commençant par un changement de mentalité pour comprendre qu’actuellement des étudiants peuvent se retrouver en situation de précarité, même en médecine.
Pour terminer, je souhaiterais pointer que nous nous sommes saisis de la thématique de l’accès aux soins en montrant comment il est possible de l’améliorer en améliorant la démographie médicale. La contrainte à l’installation est une ligne rouge pour nous. Vue la composition parlementaire actuelle, le sujet risque de revenir mais il faut réussir à expliquer que cela ne marchera pas – en rappelant par exemple que la CNAM montre tous les ans dans son rapport charges et produits que la médecine générale est la mieux mieux répartie alors qu’elle n’est pas régulée – et qu’il existe des alternatives. La problématique est surtout celle du nombre plus que de la répartition. Il faut là aussi réfléchir à des solutions qui soient viables sur le long terme pour pouvoir offrir à la population des réponses à ses besoins en santé.
Propos recueillis par Guillaume Sublet, le 30 août 2024