Evaluation des médicaments : « Très clairement, des votes ont basculé du fait de la voix des représentants de patients et usagers »

Catherine Simonin est présidente de la Commission Société & Politiques de Santé de la Ligue contre le cancer, membre du Bureau de France Assos Santé, et représentante des patients et usagers à la Commission de la Transparence de la HAS.
Nextep : Comment est aujourd’hui prise en compte la voix des patients et usagers dans le cadre de l’évaluation des produits et technologies de santé ?
Catherine Simonin : La voix des patients est prise en compte à la Commission de la Transparence (CT) de la HAS depuis de nombreuses années. En tant que représentants de patients et d’usagers du système de santé, nous participons à toutes les réunions de la Commission. Nous sommes deux titulaires et un suppléant et nous avons donc deux voix sur vingt votants, qui comptent autant que les autres.
Dans ce cadre, nous participons à des formations pour être plus performants. Lorsqu’il y a une révision de la doctrine de la CT, nous sommes également impliqués et participons aux réflexions. Cela a également été le cas lors de la réforme de l’accès précoce, pour laquelle j’ai participé au groupe de travail sur la notion de traitement approprié, qui constitue l’un des critères d’autorisation. De même lors de la mise à jour des guidelines en 2023.
Cela dit, quand un dossier est très bon, tout le monde vote dans le même sens. Le service médical rendu (SMR), utilisé notamment pour recommander ou non le remboursement, peut être dégradé si les dossiers ne sont pas suffisamment qualitatifs, avec par exemple un SMR modéré. De même pour l’Amélioration du Service Médical Rendu (ASMR), appréciant le degré d’innovation, qui peut être de niveau IV alors qu’il aurait pu être plus élevé avec un meilleur dossier. Cela peut être ensuite problématique avec le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), chargé de négocier et arrêter les prix, mais ce n’est pas le problème de la HAS qui est une autorité scientifique indépendante.
Ainsi, nous avons surtout la possibilité de faire basculer les votes quand le dossier est moyen mais que nous avons identifié une population éligible pour qui il y aurait un intérêt. Pour les autorisations d’accès précoce (AAP), les membres de la Commission votent en deux temps, d’abord en disant s’ils sont favorables ou non. Dans ce dernier cas, les quatre critères sont regardés de manière plus détaillés et votés séparément.
En tant que représentants des usagers, nous portons également les contributions des associations. 72 dossiers ont reçu en 2023 au moins une contribution ; ce qui en fait trois ou quatre par séance que nous nous répartissons. Dans l’idée, les patients ne demandent pas un médicament à tout prix mais demandent un traitement efficace, non pourvoyeur d’effets secondaires rédhibitoires et leur procurant une qualité de vie suffisante.
Pour l’instant, les associations n’ont pas accès aux données du dossier mais des réflexions sont en cours, sur la base d’un rapport de la HAS, pour voir quelles seraient les possibilités d’ouverture, ainsi qu’au niveau européen pour statuer sur les PICO.
Nextep : Y a-t-il des exemples où une contribution a clairement été déterminante dans un avis ?
Catherine Simonin : Très clairement, des votes ont basculé du fait de la voix des représentants de patients et usagers, pour aller vers un niveau de SMR ou ASMR supérieur… ou inférieur quand notamment il existe beaucoup d’effets indésirables de grade 3 ou plus avec la vie sociale du patient qui risque d’être fortement compromise voire inexistante. Beaucoup d’experts n’ont pas la visibilité du fardeau de la maladie et c’est là que les contributions des associations sont véritablement utiles, pas sur les données scientifiques et cliniques. Or, nous avons rarement des données de qualité de vie hiérarchisées dans les essais cliniques ; ce qui est pourtant souhaité. Et lorsqu’il y a des tentatives pour faire du quantitatif au niveau associatif, ces études présentent souvent des biais, notamment en prenant seulement en compte les survivants.
« S’il est relaté une amélioration du vécu du patient, c’est important pour les experts »
En tant que représentants, nous pouvons reprendre des éléments de la contribution que nous présentons systématiquement, juste après l’avis préliminaire par l’évaluateur du Service d’Evaluation des Médicaments (SEM) afin d’éclairer les experts, avant les débats. D’ailleurs, ils ne reviennent généralement pas sur le fardeau de la maladie, estimant que cela vient d’être présenté via la restitution de la contribution associative. Et, s’il est relaté une amélioration du vécu du patient, c’est important pour les experts.
Nextep : Voyez-vous des améliorations à apporter au cadre de l’évaluation, notamment afin d’aller encore plus loin dans la démocratie sanitaire et l’accès ?
Catherine Simonin : Les contributions sont déjà très pertinentes. Un service est dédié à la HAS à l’engagement des usagers, pour aider sur ces sujets, entre autres. C’est également très détaillé dans le projet de contribution qui est mis à disposition, avec notamment une notice à chaque question pour expliquer ce qui est demandé.
« Ce qui est attendu par rapport à leur contribution, c’est d’aller directement sur la qualité de vie et le fardeau, et éventuellement l’expérience avec le médicament »
Aller plus loin, nous l’avons fait pour l’accès précoce. Nous avons auditionné des associations et, si certaines sont bien organisées, elles perdent souvent du temps en s’attardant sur un cas spécifique ou en revenant sur les caractéristiques épidémiologiques de la maladie, que les experts connaissent déjà. Ainsi, elles ne présentent malheureusement pas suffisamment ce qui est attendu par rapport à leur contribution, c’est-à-dire aller directement sur la qualité de vie et le fardeau, et éventuellement l’expérience avec le médicament étudié versus les traitements utilisés dans des traitements validés sur des lignes précédentes.
Nextep : Quels changements anticipez vous avec la HTA européenne ? Quelles sont les pistes pour une contribution des associations dans le cadre des PICO ?
Catherine Simonin : Le Règlement européen permet d’inviter les patients à des rencontres précoces avec des patients experts qui vont être référencés avec des déclarations des liens d’intérêts, pour éviter les conflits d’intérêts. La langue ne doit pas être une barrière et il doit être possible de s’exprimer dans la langue qui nous permet de mieux restituer notre expertise et expérience. Cela doit être représentatif de tous les pays européens. Il faut former ces patients et ce que nous avons demandé, avec mon collègue allemand, car un patient tout seul ne peut pas y arriver et risque de focaliser sur son cas. Ainsi, la démarche doit être collective et avec un panel validé car, comme souvent, on devient plus intelligent à plusieurs. Pour certaines maladies rares, les associations solliciteront les patients a postériori de la demande d’évaluation, en effet ils auront moins de médicaments à évaluer qu’en oncologie.
« Les industriels ont tout à fait intérêt à ce que le dossier soit partagé, naturellement dans le respect du secret des affaires »
La France a bien compris très tôt l’importance de l’implication des patients et que cela doit passer par le collectif. Pour l’instant, nous n’avons pas d’information sur la possibilité d’accéder au dossier, qui sera indispensable pour s’exprimer sur les PICO, notamment en cas de comparaisons indirectes. Cela risque d’ailleurs de précariser l’industriel s’il ne peut pas répondre à certains PICO. Les industriels ont donc tout à fait intérêt à ce que le dossier soit partagé, naturellement dans le respect du secret des affaires, comme c’est le cas en France. Et nous respectons d’ailleurs la confidentialité la plus totale sur les dossiers auxquels nous avons accès dans le cadre de la HAS et nous n’évoquons rien à l’extérieur qui ne soit déjà validé et publié.
« Notre grand souhait est d’avoir des données opérationnelles sur la qualité de vie »
Il est également important que les patients soient présents aussi sur les rencontres précoces et les JSC (Joint Scientfic Consultations) afin d’exprimer une vision associative sur ce que nous attendons et que nous ne voyons pas toujours lors de l’évaluation. A la Ligue contre le cancer, nous réalisons déjà des relectures de protocoles d’essais cliniques afin de les rendre compréhensibles par le plus grand nombre. Ce serait bien que les industriels aillent voir les patients dans les rencontres précoces de HTA pour savoir ce qui est attendu. Si la qualité de vie est le 25ème objectif non hiérarchisé, ce sera inutilisable. Il ne faut pas que ce critère ne soit sorti que pour contester une ASMR ; ce qui de toute façon ne marchera pas si l’on ne peut pas s’en servir. Notre grand souhait est d’avoir des données opérationnelles sur la qualité de vie. On peut savoir par exemple qu’une tumeur ne va pas progresser pendant tant de mois mais pas comment le patient le vit.
Pour les PICO, à ce stade, des patients experts dans l’aire thérapeutique proposeront des PICOs comme réalisés en Allemagne aujourd’hui. Ces patients devront remplir une clause de confidentialité et se former grâce aux association européennes mais nous souhaiterions que la HAS propose une formation en français.
Nextep : Les représentants de patients sont-ils intégrés dans des réflexions sur les nouvelles méthodologies de preuve (jumeaux numériques, essais baskets…) ?
Catherine Simonin : Sur les jumeaux numériques non mais sur les essais baskets oui. Nous avons notamment participé à l’élaboration de la doctrine.
S’agissant des jumeaux numériques, je peux tout de même dire que, à la Ligue contre le cancer, nous n’y sommes vraiment pas opposés mais toujours à condition que ce soit validé scientifiquement et qu’il n’y ait pas de marges d’erreurs trop importantes et surtout la méthodologie employée qui doit être robuste.
Par ailleurs, l’IA va clairement constituer un plus pour traiter les données mais il faut tenir compte des erreurs potentielles, notamment s’agissant de l’IA générative car quelques pourcentages d’erreurs représentent beaucoup dans la santé et pour les patients.
Propos recueillis par Guillaume Sublet – mis à jour le 7 février 2025