« L’objectif est de pouvoir discuter du transfert au plus près et plus rapide aux patients des innovations qui découlent de la génomique et de l’IA »
Nextep : Quel est votre retour sur la 10ème édition du congrès de la SFMPP qui vient de se tenir ? Quels moments forts retenez-vous de ces journées ?
Pascal Pujol : 2024 était une excellente édition qui était aussi un anniversaire marquant pour notre société. Déjà, nous avons eu une audience très large en quantité, avec 750 inscrits, mais surtout en qualité car le principe de la société est d’être transversale et de réunir à bord des représentants de différents horizons : spécialistes d’organes, cancérologues, spécialistes du diagnostic, académiques, industriels, et bien sûr les associations de patients. L’objectif est de pouvoir discuter du transfert au plus près et plus rapide aux patients des innovations qui découlent de la génomique et de l’IA.
Le succès est aussi dans les échanges constructifs avec nos agences et tutelles et il faut saluer à ce titre tous les acteurs publics comme les représentants de la HAS, de la DGOS, de l’ABM, de l’INCa, du PFMG… Parmi les points marquants, le premier qui me vient est le challenge qui a été relevé sur la capacité à réaliser un génome complet en 48h pendant la durée du congrès. Ce n’est pas qu’un défi technique car les applications médicales arrivent, par exemple en pédiatrie, réanimation, greffes d’organes et en cancérologie. Un autre est bien sûr la démonstration de la montée en puissance de l’IA avec de nombreuses applications à tous les niveaux : diagnostic, pronostic, conception de nouvelles solutions thérapeutiques…
« L’objectif est de pouvoir discuter du transfert au plus près et plus rapide aux patients des innovations qui découlent de la génomique et de l’IA »
Nextep : Quels ont été les échos en retour de la table ronde sur l’éco-génomique, en lien notamment avec la réforme du RIHN et l’accès aux tests dans les établissements de santé ?
Pascal Pujol : Il s’agit effectivement d’un moment très important car, depuis 10 ans, nous arrivons à maintenir un échange courtois et intelligent avec les différents acteurs du système, notamment l’UNCAM, la HAS, la DGOS, le SIDIV, le privé, le milieu académique, les associations. Il est déjà important d’avoir un espace où on peut avoir une discussion franche et constructive plutôt que des réflexions isolées et en silo. Sur le fond, tout n’est pas parfait mais les problématiques n’ont pas été éludées par les autorités.
En réalité, il existe deux grands problèmes : ce que la réforme du RIHN va entrainer, notamment en termes de laissés-pour-compte, et une situation à laquelle on n’a pas beaucoup réfléchi, s’agissant du remboursement et de l’impact sur les budgets hospitaliers des actes génomiques qui vont passer dans la nomenclature. Sur le RIHN, ainsi que l’a montré Cédric Carbonneil, les choses avancent avec déjà des évaluations. Nous sommes sur la feuille de route qui avait été programmée par la HAS et on ne peut que s’en réjouir.
Ce qui n’a pas manqué de lui être adressé, c’est que cette dynamique est bonne mais va prendre un certain temps, sans oublier un étau qui va se resserrer en parallèle avec une décote mécanique du RIHN de 20% par an programmée par la LFSS. Quand bien même les actes resteraient inscrits en attendant l’évaluation, ils risquent de subir de forts coups de rabot. La DGOS a déjà été saisie du problème et l’a a priori entendu. En tout cas, on l’espère.
« Quand bien même les actes resteraient inscrits sur la liste RIHN en attendant l’évaluation, ils risquent de subir de forts coups de rabot. »
Par ailleurs, nous avons beaucoup œuvré avec la SFMPP, Unicancer et les associations de patientes pour inscrire des actes de génomique dans la nomenclature ; ce qui a été par exemple le cas pour le test RHD dans la prise en charge du cancer de l’ovaire. Mais, même si la cotation existe, il y a un reste à charge au-delà du forfait hospitalier qui peut être très important. Nextep a d’ailleurs réalisé un travail pour savoir comment on peut améliorer le système pour une prise en compte rapide de ces examens nouveaux indispensables aux patients. Une des pistes, qui va être portée par Unicancer, serait un principe de liste en sus. L’UNCAM a très bien expliqué que le système est extrêmement compliqué et qu’il faut effectivement réussir à le simplifier. Ce que l’on a vu dans ce congrès, ce sont les discussions fertiles sur les optimisations nécessaires pour la prise en charge, à poursuivre et concrétiser.
Nextep : Quelle est votre vision sur l’essor de l’IA et son potentiel dans le domaine de la médecine prédictive et personnalisée ?
Pascal Pujol : Nous avons été biberonnés à l’IA car il n’est tout simplement pas possible d’interpréter la génomique sans cela. C’était d’ailleurs dans l’intitulé de départ de la société et cela reste indissociable. Aujourd’hui, on voit l’irruption de l’IA applicative dans tous les domaines. Nous l’avons très bien vu dans ce congrès sur le diagnostic avec des résultats bluffants et une forte maturité.
Nous élargissons actuellement de l’IA en recherche à l’IA qui accompagne les patients, ainsi que l’a montré Emmanuel Bibault dans son excellente présentation. Ce sont déjà des fruits qui sont là et il y en a encore beaucoup qui murissent. Cela est porteur d’espoir car indéniablement l’IA est un outil majeur de la médecine de précision. La part importante qui y est ainsi consacrée dans le congrès est en fait proportionnelle à l’aide que peuvent nous apporter ces outils dès à présent et au futur.
Nous allons avoir certainement pour l’IA des modalités un peu particulières d’évaluation car les questions d’accès vont se poser très rapidement. Heureusement, l’IA comme la génomique n’est pas nécessairement inflationniste en termes budgétaires. Au contraire, l’une comme l’autre sont vectrices d’économies pour le système de santé, en rationalisant l’emploi de certains traitements ou même avec des solutions thérapeutiques de coût moindre.
« Si l’IA est un outil extrêmement puissant, cela implique en conséquence de savoir bien l’utiliser et se demander quels sont les risques »
Cela dit, si l’IA est un outil extrêmement puissant, cela implique en conséquence de savoir bien l’utiliser, notamment dans l’orientation des thérapeutiques, et se demander quels sont les risques. Par exemple les hallucinations pourraient nous donner des fausses pistes. Il faut bien sûr intégrer de l’éthique ; qui fera d’ailleurs l’objet d’une session dédiée dans le prochain congrès. Mais, surtout, l’IA est porteuse de progrès, notamment sur des problèmes complexes. Pour l’anecdote, nous organisons tous les ans des serious games et pour la deuxième année consécutive, c’est ChatGPT qui l’a emporté, même contre des spécialistes reconnus et sur des questions extrêmement pointues. C’est à tel point qu’il faudrait envisager la possibilité de l’utiliser comme conseiller et qu’il puisse par exemple fournir un des avis dans le cadre d’une réunion de concertation pluridisciplinaire, sous réserve naturellement de bien encadrer. S’il peut être amené à se tromper, c’est le cas de tout le monde et ce serait en tout cas dommage de s’en priver. Il faut donc se l’approprier, avec tous les « garde-fous » nécessaires.
Nextep : Pouvez-vous nous dire un mot sur les travaux de consensus que souhaiterait lancer la SFMPP en 2025 ?
Pascal Pujol : Notre société est toujours très impliquée dans des travaux de recherches sur un mode de recommandations de pratiques, en restant très applicatif. Cette année, un premier projet porte sur l’accès aux tests dans une ère un peu nouvelle. La raison est, que ce soit en cancérologie ou dans les maladies, nous sommes des prescripteurs de ces analyses, avec des problématiques de remboursement dans le RIHN ou en dehors.
Nous sommes donc amenés à avoir une approche plus globale et, dans cette optique, nous souhaitons déployer une méthodologie scientifique, c’est-à-dire faire avec des experts un vote de consensus qui dresse l’état des lieux, avec les insuffisances et zones de vigilance, et dans un second temps des propositions. Ce travail pourrait être réalisé en mode Delphi avec différents acteurs pour fluidifier et implémenter les parcours en médecine génomique. Un deuxième sujet concerne la RCP moléculaire qui manque de recommandations internationales et va de plus en plus faire appel à de la génomique et de l’IA.
Il faut donc arriver à avoir des espaces dédiés avec des spécialistes des deux disciplines pour discuter soit des résultats soit des examens à faire. Enfin, comment peut-on progresser et exploiter encore davantage le potentiel du congrès ? Du fait de son succès, il va déjà falloir changer de lieu. Surtout, ce qu’il ne faut pas rater, ce sont les équilibres. Nous sommes en transversal sur la médecine de précision en utilisant la génomique comme l’IA. Ce qui prime, c’est ce qui fait le transfert. Notre société n’est tant pas positionnée sur la recherche et ce qui va arriver à 10 ans que sur les changements de pratique clinique ; nous présentons ce qui est mûr aujourd’hui et appelé à basculer dans la pratique et le standard of care, avec une diffusion de l’information sur le bénéfice médical de ces nouvelles solutions.
Propos recueillis par Valentin Bitker et Guillaume Sublet le 22 octobre 2024
Pascal Pujol est médecin généticien spécialisé en cancérologie, Professeur des universités-praticien hospitalier (PUPH) à la Faculté de Médecine de l’Université de Montpellier et chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier. Il est co-auteur de plus de 200 publications internationales, d’ouvrages grand public et a coordonné plusieurs essais thérapeutiques. Il est président de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), qui évalue le bénéfice médical des tests génétiques et de l’IA en médecine prédictive et personnalisée avec un objectif clair : une personne doit recevoir pour prévenir, dépister ou traiter une maladie, une prise en charge adaptée à ses spécificités.