Jeudi 21 Septembre 2017 : Tribune dans le Monde de Jean-David Zeitoun, membre de l’Advisory Board Nextep

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21/09/2017

Prix des médicaments : « Il n’est pas envisageable de décourager l’investissement industriel »
Pour que l’innovation pharmaceutiques continue à être financée, les laboratoires et les payeurs doivent parvenir à un compromis, estime Jean-David Zeitoun, médecin et conseil pour l’industrie pharmaceutique, dans une tribune au « Monse ».

Tribune. S’il n’y avait pas l’affaire du Lévothyrox – ce produit dont le changement de générique serait responsable d’une épidémie d’effets secondaires –, on pourrait presque croire que les médicaments ne posent plus que des problèmes d’argent.
Les industriels ont longtemps justifié leurs prix élevés par deux arguments : les coûts de recherche et développement (R&D) et « les lois du marché ». Les investissements en R&D de la pharmacie sont effectivement considérables. Ils captent 10 % à 20 % des chiffres d’affaires des laboratoires, alors que les autres secteurs industriels y consacrent en moyenne 4 % de leurs revenus. Et les entreprises pharmaceutiques sont en effet en concurrence avec toutes les autres industries sur le marché mondial du financement. Seule une forte rentabilité permise par des prix élevés leur permet de lever les capitaux nécessaires au développement d’un médicament.

Ces deux arguments sont factuellement exacts et donc recevables, mais ne semblent plus acceptés par l’opinion et encore moins par les payeurs. Les industriels ont donc pris l’habitude de disculper leurs prix par un troisième argument : la valeur thérapeutique. Ce raisonnement est également soutenu par une partie du monde académique et institutionnel, depuis le Tufts Institute de Boston jusqu’au très respecté National Institute for Health and Care Excellence, équivalent britannique de notre Haute Autorité de santé.
Il s’agit de tendre vers un prix de marché indexé sur la valeur de ce que le produit apporte aux patients (qui le prennent) et à la société (qui le paye). L’approche n’est pas sans problème conceptuel ni pratique, car il faut définir cette valeur puis la mesurer, ce qui est loin d’être trivial. Malgré cette complexité, le consensus grandit sur le fait que la valeur doit influencer le prix des traitements, puisqu’elle aligne les intérêts industriels sur le résultat à atteindre.

Prise en compte de l’impact budgétaire
Mais cette doctrine bute encore sur deux types d’opposition. Pour certains, notamment parmi les cancérologues français, la valeur sociale d’un médicament n’ayant potentiellement aucune limite, fixer un prix à partir de cette valeur fait courir un risque d’inflation insupportable. Ils prônent plutôt une fixation de prix par les coûts de production, majorée d’une marge bénéficiaire garantie (prix dit « cost plus »). Mais il faudrait alors considérer non seulement le coût de production – souvent faible – mais encore le coût total d’invention, y compris les dépenses de R&D ou le rachat de la société de biotechnologie, ce qui est le cas deux fois sur trois.
Surtout, la ­méthode « cost plus » apporterait une prime aux industriels les moins performants, puisqu’ils seraient mieux rémunérés qu’un concurrent qui ­serait parvenu au même résultat, voire à un meilleur résultat, à moindre coût ! Comme les mauvaises idées ne meurent jamais, beaucoup de commentateurs continuent de plaider pour un tel système, pourtant voué à l’inefficience.
La deuxième contestation vient de la prise en compte de l’impact budgétaire. Plusieurs universitaires comme Steven Pearson, le président de l’Institute for Clinical and Economic Review, avancent qu’il n’est pas concevable de lier le prix de médicament à sa valeur médicale, si substantielle soit-elle. Au reste, l’histoire de l’innovation ­confirme que sauf monopole indu, la valeur créée n’est jamais intégralement transférée à l’innovateur.

Des marges de manœuvre peu nombreuses
La société se charge bien de le défendre, souvent grâce à la propriété intellectuelle, mais elle ne lui reverse pas tout ce qu’il lui donne. Si celui-ci récupérait l’entièreté de ce qu’il apporte, la plupart des biens et services que nous utilisons seraient hors de portée : l’assainissement de l’eau serait prohibitif, la protection policière deviendrait inabordable, et ainsi de suite.

Alors, comment va évoluer le prix des médicaments ? Dans les prochaines années, il est vraisemblable que le prix de nouveaux médicaments augmentera encore, notamment certains anticancéreux ou traitements de maladies rares. D’autres verront leur prix se modérer, comme le dernier anti-eczéma de Sanofi, le dupilumab, tarifé à « seulement » 37 000 dollars par an et par patient aux Etats-Unis. L’arbitrage continuera de relever d’un compromis entre valeur de long terme et réalité budgétaire de court terme. A plus long terme, aucun pronostic ne semble raisonnable.
Les marges de manœuvre pour les payeurs ne sont néanmoins pas nombreuses. Il en existe deux principales : les médicaments génériques, d’une part, à condition d’éviter la hausse de leurs prix et d’en maximiser l’usage. Des économies sur les soins coûteux, d’autre part, comme les hospitalisations ou les interventions lourdes. Tout le monde sait que ces économies sont réalisables et que les obstacles sont plus sociologiques que techniques. Mais certaines de ces économies sont permises par les effets des nouveaux médicaments qui préviennent des complications lourdes, ce que les laboratoires rappellent sans cesse.

Quoi qu’il en soit, aucune solution unique ne fixera le prix des médicaments. Toutes les pistes évoquées plus haut doivent contribuer à faire survivre le système de financement. Il faudra sans doute s’obstiner à concilier imparfaitement la faisabilité budgétaire et la valorisation des produits.
Et il faudra aussi dégager des moyens pour rendre supportables les prix élevés de futurs médicaments, à l’instar des thérapies cellulaires récemment autorisées. Il n’est pas envisageable de décourager l’investissement industriel, car beaucoup de maladies restent non traitées ou mal traitées. Les patients nous rappellent quotidiennement que nous avons désespérément besoin d’innovation.
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